Quand l’autre passe avant soi : est-ce vraiment de l’altruisme ?

La confusion fréquente

Beaucoup de personnes viennent en thérapie avec ce constat : « Je fais passer le besoin des autres avant le mien », « Je n’arrive pas à dire non », « Je m’oublie dans mes relations ».
À première vue, cela ressemble à de l’altruisme, à une générosité désintéressée. Mais quand ce mouvement vers l’autre s’accompagne d’épuisement, de culpabilité ou d’un sentiment de vide, n’est-ce pas autre chose qui se joue ?

Qu’est-ce qui pousse à se mettre systématiquement en retrait : s’agit-il d’un véritable don… ou d’une façon inconsciente de chercher l’amour, la reconnaissance, ou d’éviter le conflit ?

Quand donner devient s’effacer

L’altruisme authentique suppose un choix libre : je donne parce que j’en ai envie, pas parce que j’ai l’impression de ne pas pouvoir faire autrement.
Lorsque l’autre passe toujours avant soi, ce n’est plus du don mais une forme d’effacement. Derrière, on retrouve souvent :

  • la peur de décevoir ou de perdre l’autre,

  • la crainte du rejet ou de l’abandon,

  • le besoin compulsif d’être “utile” pour mériter sa place,

  • une exigence extrême vis-à-vis de soi-même : devoir tout porter, répondre à tous les besoins (réels ou supposés) de l’autre, sans jamais faillir.

Cet excès d’attention et de responsabilité mène à l’épuisement émotionnel, à des relations déséquilibrées où la personne se sent exploitée, ou encore à une perte de repères : « Qui suis-je, en dehors de ce que je donne ? »

Le désir en jeu

Ce comportement traduit souvent un rapport conflictuel au désir.
Freud parlait du renoncement pulsionnel nécessaire pour vivre en société : chacun doit faire des compromis. Mais lorsque ce renoncement devient systématique, c’est le désir propre qui se trouve muselé.

Lacan rappelle que le sujet est structuré par le désir de l’Autre (avec un grand A) : chercher à satisfaire l’autre peut masquer l’incapacité à reconnaître et à assumer son propre désir.
Autrement dit, mettre toujours l’autre en premier n’est pas forcément de l’altruisme : cela peut être le signe d’un conflit inconscient avec son droit d’exister et de vouloir pour soi.

Un travail possible en thérapie

En thérapie, il s’agit de repérer ces mécanismes de répétition : quand et comment le patient s’efface, dans quels contextes, au nom de quelle croyance (“si je pense à moi, je suis égoïste”, “si je dis non, on ne m’aimera plus”, “je dois être fort·e et tout assumer”).
Progressivement, la parole permet de :

  • identifier les situations où l’on se sacrifie,

  • comprendre d’où vient ce besoin de “tout porter”,

  • alléger cette exigence intérieure démesurée,

  • réhabiliter son propre désir,

  • apprendre à dire non sans culpabilité,

  • expérimenter un nouvel équilibre dans ses relations.

Ce chemin n’est pas une invitation à devenir “égoïste”, mais à reconnaître que prendre soin de soi est la condition même pour pouvoir donner de façon authentique à l’autre.

Redonner sa juste place à chacun

Mettre toujours l’autre avant soi n’est pas nécessairement de l’altruisme. C’est parfois une stratégie inconsciente de survie relationnelle, renforcée par une exigence intérieure qui pousse à vouloir tout porter pour tout le monde.

La thérapie offre un espace pour réapprendre à écouter son propre désir, à poser des limites, et à accepter que l’on n’a pas à tout assumer.

Car le véritable altruisme n’est possible qu’à partir d’un sujet qui existe pleinement. Donner n’a de sens que si l’on ne s’est pas d’abord oublié soi-même.

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